Chronique: Droit Fiscal et Patrimoine

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Un nouveau mode d’acquisition des locaux professionnels

Le recours au démembrement de propriété et à l’usufruit temporaire qui

peuvent permettre d’économiser jusqu’au 1/3 du prix d’acquisition du bien,

rendant ainsi possible des acquisitions qui économiquement ne l’étaient pas

Par Patrick MASSON
VEYSSADE LAW FIRM
Avocat à la Cour
Spécialiste en Droit Fiscal
Barreau de PARIS
patrick_masson

Copyright Patrick MASSON publié avec son aimable autorisation

Les professionnels de santé, qu’ils exercent à titre individuel (régime des BNC) ou dans le
cadre d’une société d’exercice libéral (en général à l’IS de plein droit ou sur option), sont,
sauf exception, soumis au régime des baux professionnels lorsqu’ils louent leurs locaux (le
régime dérogatoire des baux commerciaux est possible, mais dans des conditions telles que
qu’il est rarement mis en oeuvre
).

Ce régime a pour corollaire l’absence du droit au renouvellement automatique du bail à son
expiration contractuelle ce qui a pour effet de fragiliser la pérennité des cabinets, d’où
l’impérieuse necessité d’acheter ses locaux professionnels si le coût économique est
supportable.

Au plan purement économique, à moins que le loyer ait été consenti à des conditions très
avantageuses (loyer annuel représentant un faible pourcentage de la valeur vénale du bien –
2,5% par exemple –
) l’achat des murs est aussi conseillé aux praticiens pour se constituer un
patrimoine, dont le rapport locatif, ou la revente, sera fort utile le jour venu de la retraite,
d’autant plus que le taux de remplacement des retraites des libéraux est loin d’atteindre celui
des fonctionnaires qui est de 75%, voir de 80% en cas de bonification, de leur dernier
traitement.

A ce stade de la réflexion, afin de ne pas subir les affres de l’impôt sur les plus-values
professionnelles, le schéma traditionnellement mis en oeuvre consistait à constituer une
société civile immobilière (sans option pour l’IS, en raison des conséquences économiques et
fiscales en cas de cession ultérieure du bien par la Société ou de ses parts sociales par les
associés
) pour acquérir le bien, qui était financé par un emprunt bancaire, afin de le louer à
l’exploitant du cabinet.

L’équation économique mise en oeuvre était alors d’une simplicité biblique : il fallait, autant
que faire se peut (en restant dans les limites des valeurs locatives du marché, pour ne pas
faire l’objet de critiques au plan fiscal notamment
) faire coïncider les échéances mensuelles
du remboursement du prêt bancaire avec le loyer mensuel à encaisser par la SCI.

Ce montage a toutefois montré ses limites au plan économique et le recours au
démembrement de propriété avec usufruit temporaire est aujourd’hui très en vogue.

I – Chiffrage illustré du coût d’acquisition en cas de recours au schéma classique : une SCI qui achète et loue le bien à l’exploitant

Nous en faisons la démonstration, en prenant l’exemple d’un bien acquis 1.000.000 €, qui
pourra être extrapolé, en ayant recours à la règle de trois, pour un bien acquis moyennant un
prix supérieur ou inférieur.

Toute extrapolation ne pourra toutefois être qu’indicative. Les facteurs spécifiques à chaque
dossier, comme la valeur vénale, le rapport locatif, le taux du crédit, le type de prêt, la durée
du crédit pas forcément identique à la durée de l’usufruit, le montant des apports personnels,
le taux marginal d’imposition, influeront naturellement sur la solution.

Si l’on prend l’exemple d’un bien acquis 1.000.000 €, frais et honoraires d’acquisition inclus,
financé par un prêt amortissable de la même somme sur 15 ans, à un taux de 5,5% assurance
comprise, il en résulterait un coût total de 1.470.000 €, dont 470.000 € de frais financier, et
une échéance mensuelle de 8.170 €.

Pour un loyer fixé à 7.084 € / mois et revalorisé de 2 % par an, le loyer total payé sur 15 ans
serait égal, en euros courants, au coût du crédit, soit à 1.470.000 €

Apparemment au plan des flux économiques, l’équation semble parfaite .

Mais apparemment seulement, car il faut compter avec l’associé invisible qu’est notre
administration fiscale qui taxe les loyers dans la catégorie des revenus fonciers.

Or, dans cette cédule d’imposition seuls sont déductibles les frais financiers et non la fraction
représentative du capital, ce qui n’est pas totalement illogique, la collectivité n’ayant pas
vocation à financer et à défiscaliser le patrimoine constitué.

En définitive, sur quinze ans le revenu foncier imposable sera égal à 1.470.000 € moins les
frais financiers d’un montant de 470.000 €, soit à 1.000.000 €.

Ainsi le contribuable associé de la SCI imposable au taux marginal de l’IRPP (40%), devra
supporter sur ce type de revenus en plus de l’IRPP: les prélèvements sociaux (11 %), et
bientôt la nouvelle contribution additionnelle pour financer le RSA (1,1%), soit en tout un
prélèvement de 52,1 % (à moins qu’il soit en mesure de bénéficier du bouclier fiscal, qui
plafonne la totalité des impositions à 50% des revenus
)

En définitive sur quinze ans, l’impôt à payer s’élèvera à 521.000 € (1.000.000 € x 52,1%).

En réalité ce coût de 521.000 € n’est pas exact, car il faut toujours compter sur notre associé
invisible (l’administration fiscale) qui bien évidemment va taxer les revenus nécessaires au
financement des impôts qui s’élèvent 521.000 € lesquels ne seront pas payés par les loyers (en
effet, ne nous soucions pas du capital et des intérêts qui auront été payés par un loyer
présumé normal, qui de toutes façons auraient été payés à fonds perdus
).

Si l’on prend pour hypothèse que notre professionnel libéral a été bien inspiré de constituer
une SEL (imposable à l’IS) en raison des revenus confortables que génèrent son activité, il
n’en demeure pas moins vrai qu’il devra prévoir de se verser des dividendes substantiels au
moins pour financer les impôts qu’il devra payer sur ses revenus fonciers (à moins qu’il ait
préféré s’octroyer une rémunération importante de dirigeant majoritaire, mais en raison des
charges sociales importantes qu’il aura à payer, ce choix aura sans doute été écarté
).

Dans notre exemple, si notre contribuable libéral est imposé dans la tranche supérieure de
40%, les dividendes qu’il percevra, subiront1 quand à eux une imposition nette de 35%, à
moins d’opter pour le prélèvement forfaitaire sur les dividendes qui devrait passer à 30,1 %
(nouveau prélèvement sur le RSA compris).

La solution du prélèvement forfaire étant plus favorable nous retiendrons ce taux de 30,1%.

En d’autres termes pour disposer d’une somme de 521.000 € pour payer les impôts sur les
revenus fonciers, il faudra se verser un dividende de 745.000 €, lequel subira un prélèvement
forfaire de 224.000 €, d’où un reste net de 521.000 €.

En d’autres termes le coût pour devenir propriétaire sur 15 ans, d’un bien qui vaut
actuellement 1.000.000 € (frais et honoraires d’acquisitions compris) est en €uros courants
pour un contribuable taxé au taux marginal d’imposition de 745.000 €, en ce non compris
l’impôt sur les sociétés que la SEL aura dû payer, pour dégager un bénéfice distribuable de
745.000 € (dans l’hypothèse d’un IS au taux de 33,33%, il aura fallu un bénéfice comptable
de 1.117.500 € qui aura été amputé d’un IS de 372.500 €, afin qu’il reste 745.000 € de
bénéfice distribuable
).

Malgré le coût de 745.000 €, si le bien acquis s’est revalorisé sur quinze ans dans la même
proportion que le loyer (soit dans notre exemple 2% par an), le bien acquis 1.000.000 € (frais
d’acquisition compris, soit environ hors frais 934.000 €
), vaudra 1.230.000 €, à moins que
l’on retienne la formule selon laquelle un bien double de valeur en €uros courant tous les 10
ans. Dans cette hypothèse le patrimoine immobilier vaudrait au terme des 15 ans la somme de
2.335.000 € (soit 934.000 € x 2,5)

L’adage selon lequel il vaut mieux toujours acheter que louer, puisqu’un crédit s’éteint à son
échéance, alors qu’un loyer se paye « ad vitam eternam » est parfaitement illustré.

En outre, grâce à cette démonstration on aura pu en mesurer le prix : 745.000 €, même si les
calculs ont été réalisés en €uros courants.

1 Pour les besoins de notre démonstration, les prélèvements sociaux personnels des libéraux dus sur les dividendes versés
seront négligés, bien que depuis une jurisprudence récente il a été jugé que les cotisations retraites sont applicables aux
dividendes.

II. L’optimisation économique en cas de recours au démembrement de propriété et à

l’usufruit temporaire

II.1 Présentation de la technique du démembrement

Dans le schéma classique il a pu être vérifié que l’effort financier était relativement important
à assumer, en raison du fait que même si les loyers finançaient le crédit et les intérêts du
crédit, il n’en était pas de même, en ce qui concerne le financement des impositions dues sur
les revenus fonciers.

Fort de ce constat, les bonnes fées des avocats fiscalistes et des praticiens de la gestion du
patrimoine, se sont penchées sur le berceau de ce montage et leur ont inspiré une nouvelle
formule : le recours au démembrement de propriété et à l’usufruit temporaire qui trouve de
plus en plus la faveur des professionnels libéraux et plus généralement des chefs d’entreprises
qui rencontrent la même problématique.

De quoi s’agit t’il ?

Plutôt que de préciser la définition juridique des attibuts du droit de propriété (usus, fructus et
abusus
), nous avons choisi de prendre un exemple que tout le monde connaît pour permettre à
tout un chacun de comprendre la solution proposée.

Il s’agit du viager occupé, qui permet à quelqu’un d’hériter de soi-même.

Dans cette situation, le débit rentier (ou nu propriétaire) achète la nue-propriété du bien, le
plus souvent en versant une certaine somme d’argent tout de suite (« le bouquet ») au crédit
rentier (ou usufruitier) et lui paiera ensuite jusqu’à sa mort une rente mensuelle revalorisable,
on parle alors d’usufruit viager.

Ce qu’on retient le plus souvent de cette situation c’est le caractère aléatoire ou le pari fait sur
l’espérance de vie du crédit rentier, car à la mort de ce dernier le débit rentier récupère sans
coûts supplémentaires, ni formalité, la pleine propriété du bien, dont il peut alors soit en jouir
à sa guise, soit le louer, ou encore le revendre libre de tout occupant.

En cas de démembrement temporaire la situation est assez comparable sauf que :

  • « l’espérance de vie » du crédit rentier est déterminée dès l’origine, l’usufruit est alors fixé pour une durée fixée à l’avance, le plus souvent 15 ans, mais ce peut être plus ou moins ;
  • Le prix n’est pas payé au moyen d’une rente viagère, ni au moyen d’un bouquet, mais
    au moyen d’un prêt à durée fixe, avec ou sans apport personnel.

Ainsi donc, si l’on reprend notre exemple précédent, plutôt que la SCI acquière le bien en
pleine propriété et le loue au cabinet ou à une SCM, ces derniers acquieront un usufruit
temporaire sur 15 ans et la SCI acquiera la nue propriété.

Le cabinet ne paiera pas de loyer mais jouira du bien du fait de l’acquisition de l’usufruit et
ce, pendant sa durée contractuelle, dans notre exemple 15 ans.

La situation est donc infiniment plus confortable pour le cabinet par rapport à un bail
professionnel dont la durée est d’un minimum de 6 ans avec une loyer annuellement
revalorisable, sous réserve bien entendu que le cout de l’achat de cet usufruit par le cabinet ne
soit pas supérieur au cout du loyer.

La SCI ne percevra donc aucun loyer, mais récupérera au bout de 15 ans la pleine propriété du
bien, sans formalité et sans fiscalité. Elle pourra alors le louer ou le vendre ou pourra même
céder à nouveau un usufruit temporaire au cabinet ou la SCM sur une nouvelle durée à définir.

Précisons que dans ces deux dernières hypothèses, à législation fiscale inchangée, la cession
de la pleine propriété ou d’un usufruit temporaire se fera en franchise d’impôt sur la plus
value, l’usufruit étant réputé avoir été acquis lors de l’acquisition de la nue-propriété, c’est-àdire
il y a plus de 15 ans.

Cette absence d’imposition résulte du fait que les plus values immobilières bénéficient d’un
abattement pour durée de possession de 10% par an au-delà de la 5ème année de détention.

Il convient de préciser, que le démembrement de propriété peut naturellement intervenir après
l’acquisition initiale du bien, même s’il existe un remboursement d’emprunt en cours.

Dans cette hypothèse, il faudra quantifier le coût du solde de l’ancien emprunt (pénalités
éventuelles
), le coût du nouvel emprunt, les droits de mutation à titre onéreux ainsi que le coût
de l’imposition de la plus value éventuelle.

Dans toutes ces hypothèses, il faudra commencer par déterminer les valeurs respectives de
l’usufruit temporaire et de la nue-propriété, conditionnées par la durée de l’usufruit, le valeur
locative du bien, la révalorisation potentielle annuelle du loyer et le TRI (ou taux de
rendement interne).

Des programmes de calcul ont été mis au point à cet effet.

II.2 Analyse comparative chiffrée du schéma classique et du démembrement.

Dans notre exemple :

  • valeur du bien à l’origine 1.000.000 € (par simplification nous négligerons l’incidence des frais et honoraires liées à l’acquisition).
  • valeur locative mensuelle 7.084 €
  • revalorisation théorique annuelle du loyer 2%

Il en résultera une valeur de l’usufruit temporaire sur 15 ans évaluée à 728.000 €
Et une valeur de la nue-propriété évaluée à 272.000 €

Pour le cabinet, dans l’hypothèse d’un financement de 728.000 € sur 15 ans au taux de 5,5%,
il en coûtera des mensualités de 5.950 € / mois, soit 15 ans la somme totale de 1.070.000 €.

Par rapport à la solution loyer revalorisé de 2% / an (soit 1.470.000 €) il en résultera une
économie de 400.000 €.

Si l’on déduit l’IS au taux de 33,33%, et le prélèvement forfaitaire de 30,1%, cette somme
représente une somme nette distribuable à l’associé de la SEL d’un montant de 186.400 €.

En ce qui concerne l’investissement au niveau de la SCI, qui portera sur la nue-propriété, il
faudra débourser sur 15 ans, en cas d’emprunt de la somme de 272.000 € au taux de 5,5% la
somme totale de 400.000 €, qu’il aura fallu prélèver en dividende sur la SEL, lequel compte
tenu du prélèvement forfaitaire de 30,1%, devra être égal à 572.000 €.

Si l’on déduit de cette somme le dividende que l’on aura pu se verser du fait de l’économie
réalisée par la SEL (différence entre loyer revalorisé et le remboursement linéaire de
l’emprunt amortissable souscrit par la SEL), soit 186.400 €, le coût net de l’acquisition du
bien en pleine propriété reviendra à 385.600 €, soit une économie de 359.400 € par rapport au
montage classique de la SCI qui loue au cabinet (745.000 €).

Conclusion

Pour un bien acquis moyennant le prix de 1.000.000 €, financé sur 15 ans, au taux de 5,5%, il
en résultera une économie de 35,94 %, « toute chose étant égale par ailleurs ».

Bien entendu, il faudra s’assurer qu’une telle opération n’est pas constitutive d’un abus de
droit ou d’une fraude à la loi au plan fiscal.

Cette question méritera une analyse précise et argumentée de l’opération par le professionnel
qui accompagnera nécessairement ce montage, qui ne devra être mis en oeuvre qu’à l’appui
d’une consultation écrite qui engagera son auteur.

Cette consultation devra intégrer tous les paramètres, et ce n’est naturellement que s’il en
résulte une validation, incluant tous les paramètres propre à chaque dossier, que cette
opération pourra être menée à son terme

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