Le chirurgien-dentiste et le multiculturalisme

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Dans la mesure où notre société n’est plus monoculturelle, un nombre croissant de chirurgiens-dentistes, à l’instar de leurs Confrères médecins, peuvent aujourd’hui être confrontés au comportement déconcertant de certains de leurs patients

Ainsi un patient ne veut avoir à faire pour lui-même qu’à un praticien de sexe masculin (ou à un praticien de sexe féminin pour son épouse) ou encore, il ne veut avoir aucun contact ou échange avec une secrétaire ou une assistante qui lui apparaît comme étant d’une ethnie ou d’une religion différentes de la sienne.

Dans de telles situations, le fait « de naviguer à vue » n’est tout de même pas très satisfaisant même s’il faut bien entendu d’abord éviter toute parole ou tout acte pouvant être récupérés ou exploités pour desservir la profession.

En particulier, le refus de soins par le chirurgien-dentiste est une solution dangereuse car il peut se retourner contre le praticien alors accusé d’avoir méconnu l’article R.4127-211 du code de la santé publique selon lequel : « Le chirurgien-dentiste doit soigner avec la même conscience tous ses patients, quels que soient leur origine, leurs mœurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminées, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu’il peut éprouver à leur égard ». En outre, un refus de soins qui serait reconnu par la Justice comme discriminatoire (à la suite d’une plainte pénale) constitue un délit (article 225-1 du code pénal).

Or, ces problèmes se posent déjà depuis un certain nombre d’années, notamment à l’hôpital et ils ont donné lieu en 2005 à l’élaboration d’une circulaire de la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins n° 2005-57 du 2 février 2005 « relative à la laïcité dans les établissements de santé », fondée sur les travaux de la commission dite « STASI » à propos de l’application du principe de la laïcité dans la République (rapport du 11 décembre 2003).

Cette circulaire est importante à connaître car elle distingue, à juste titre selon nous, deux situations juridiquement différentes :

  1. le choix du patient d’être soigné par tel ou tel praticien qui doit en principe être respecté ;
  2. la volonté de ne pas avoir de contact ou de rapport avec certains membres du personnel du cabinet qui peut être combattue si elle est reconnue comme discriminatoire.

1. Le malade a le libre choix de son praticien et de son établissement de santé, ce principe s’appliquant aussi bien à l’hôpital que dans les cabinets médicaux et dentaires libéraux selon les termes de l’article L.1110-8 du code de la santé publique : « Le droit du malade au libre choix de son praticien et de son établissement de santé est un principe fondamental de la législation sanitaire.

Les limitations apportées à ce principe par les différents régimes de protection sociale ne peuvent être introduites qu’en considération des capacités techniques des établissements, de leur mode de tarification et des critères de l’autorisation à dispenser des soins remboursables aux assurés sociaux« .

Cet article est complété par l’article L.1111-4 du code de la santé publique selon lequel notamment « aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne, ce consentement pouvant être retiré à tout moment ».

Ce libre choix du patient, même quand il paraît motivé par des raisons peu acceptables dans une République fondée sur la laïcité, doit être respecté ; de sorte qu’un patient peut en principe librement choisir le sexe du praticien qui va le soigner … à la condition que ce choix ne soit pas motivé de façon trop évidente par une doctrine religieuse.

La circulaire précitée pose en effet deux limites importantes qui valent aussi pour les cabinets libéraux :

          « Toutefois, ce libre choix doit être exercé par le malade et non par un parent, un proche () » ajoutant que ce libre choix doit se concilier aussi avec diverses règles telles que l’organisation du service ou la délivrance des soins, ce qui signifie que ce libre choix n’est pas absolu. Il ne doit pas perturber la dispensation des soins, compromettre les exigences sanitaires ni créer des désordres persistants.

          « Le libre choix du malade ne permet pas que la personne prise en charge puisse s’opposer à ce qu’un membre de l’équipe de soins (en l’espèce un chirurgien-dentiste) procède à un acte de diagnostic ou de soins pour des motifs tirés de la religion connue ou supposée de ce dernier ».

Le refus de se laisser soigner par ce praticien au motif qu’il serait d’une religion différente constitue donc un refus illégitime et discriminatoire (hypothèse à rattacher à la situation n° 2 ci-dessous développée).

2. La situation dans laquelle le patient ne veut avoir aucun contact avec un membre du personnel du cabinet qu’il suppose ne pas être de la même ethnie ou de la même religion que lui ou parce qu’il est d’un sexe différent du sien, ou encore la situation dans laquelle un conjoint ou un proche du patient veulent imposer à sa place le choix du praticien.

Il s’agit là d’une véritable discrimination ainsi définie par l’article 225-1 du code pénal : « constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques en raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille … de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».

Cependant, il faut immédiatement observer que toutes les discriminations ne sont pas punissables.

Aux termes du même code pénal (article 225-2), les discriminations punissables sont éventuellement celles qui peuvent être commises par des commerçants, des professionnels libéraux ou des employeurs et qui consistent à refuser la fourniture d’un bien ou d’un service, à refuser d’embaucher ou licencier ou encore à subordonner une vente, un service ou une embauche à un des éléments prévus par l’article 225-1 précité du code pénal.

Toutes ces hypothèses ne nous concernent pas.

L’article 225-2 contient néanmoins une hypothèse qui pourait nous intéresser :

« la discrimination définie à l’article 225-1 commise à l’égard d’une personne physique ou morale, est punie de 3 ans d’emprisonnement et de 45.000 € d’amende (peines maximales) lorsqu’elle consiste … à entraver l’exercice normal d’une activité économique quelconque ».

C’est bien le cas mais on parle d’activité économique or l’art dentaire est une activité de soins même si le Conseil d’Etat a qualifié la prestation médicale de « prestation de services » (arrêt du 27 avril 1998).

Cet article, prévu en effet pour lutter contre le boycott de certains commercants ou de certaines entreprises, pourrait peut-être s’appliquer, sans que l’on puisse l’affirmer avec certitude, le droit pénal étant d’application stricte (on ne peut étendre l’interprétation des articles du code pénal).

En revanche, ce qui est incontestablement punissable, c’est l’incitation à la discrimination, par exemple le fait d’inciter une personne à refuser les soins d’un praticien ou un contact avec le personnel du cabinet dentaire pour des raisons discriminatoires : par exemple, le mari qui, accompagnant son épouse au cabinet dentaire, l’empêcherait de se faire soigner par un homme ou d’avoir des contacts avec du personnel d’une religion différente, pourrait être poursuivi sur le fondement de l’article R.625-7 du code pénal (provocation non publique à la discrimination, contravention de 5ème classe punie d’une amende).

Il est à noter que seule la provocation publique est considérée comme un délit mais le cabinet dentaire n’est pas un lieu public, c’est un lieu privé recevant du public, ce qui n’est pas tout à fait la même chose et nous paraît empêcher une qualification de provocation « publique » (articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881).

Il résulte de tout cela qu’une plainte au Commissariat serait envisageable en dernier recours en cas d’attitude discriminatoire, sur le fondement des articles 225-2 du code pénal (discrimination) et R.625-7 du code pénal (provocation non publique à la discrimination).

Bien entendu, il vaut mieux privilégier d’abord l’écoute et le respect mutuel mais à l’impossible nul n’est tenu …

Le problème particulier de l’interdiction de la dissimulation du visage :

La loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 a posé le principe d’une interdiction générale de la dissimulation du visage dans l’espace public, son article 1er énonçant à cet effet que « nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage« .

La loi sanctionne également le fait de contraindre un tiers à dissimuler son visage.

La dissimulation du visage

Quelle est la portée de cette interdiction ?

Les tenues destinées à dissimuler le visage sont celles qui rendent impossible l’identification de la personne. Il n’est pas nécessaire, à cet effet, que le visage soit intégralement dissimulé.

Sont notamment interdits selon la circulaire d’application de la loi, sans prétendre à l’exhaustivité, le port de cagoules, de voiles intégraux (burqa, niqab …), de masques ou de tout autre accessoire ou vêtement ayant pour effet, pris isolément ou associé avec d’autres, de dissimuler le visage. Dès lors que l’infraction est une contravention, l’existence d’une intention est indifférente : il suffit que la tenue soit destinée à dissimuler le visage.

La définition de l’espace public

L’article 2 de la loi précise que « l’espace public est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public ».

Les cabinets dentaires, comme nous l’avons précisé plus haut, sont des lieux privés mais qui reçoivent du public ; ce sont des ERP (établissements recevant du public de 5ème catégorie) et ils sont donc concernés par cette réglementation.

La sanction de la dissimulation du visage

L’article 3 de la loi prévoit que la méconnaissance de l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe (d’un montant maximal de 150 Euros). Le prononcé de cette amende relève de la compétence des juridictions de proximité.

L’obligation d’accomplir un stage de citoyenneté peut également être prononcée par les mêmes juridictions, à titre de peine alternative ou de peine complémentaire. Le stage de citoyenneté, adapté à la nature de l’infraction commise, doit notamment permettre de rappeler aux personnes concernées les valeurs républicaines d’égalité et de respect de la dignité humaine.

Le Conseil National de l’Ordre a informé officiellement les Conseils départementaux de l’entrée en vigueur de cette loi par une circulaire n° 1508 du 31 mars 2011.

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